Un dossier maudit

Alstom affirme que les retards du RER B parisien seront résolus « à condition que la CAF soit au rendez-vous ».

Alstom s’est défendu après les critiques virulentes de l’autorité organisatrice des transports parisiens, Île-de-France Mobilités (IDFM), concernant les nouveaux retards des nouveaux trains MI20 commandés pour la ligne clé du RER B. Le constructeur français, qui devrait entrer en service quatre ans plus tard que prévu, met en avant son nouveau calendrier de livraison des trains d’essai, mais prévient RailTech que les progrès dépendent toujours de la livraison en temps voulu de son partenaire espagnol CAF.

À la fin du mois dernier, Île-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports parisiens, a adressé un avertissement public sévère à Alstom, l’accusant de retards « inacceptables » pour sa flotte de MI20. Le contrat de 2,5 milliards d’euros pour 146 trains, signé il y a cinq ans, visait à renouveler le matériel roulant du RER B, une ligne de banlieue clé de la capitale française qui transporte plus d’un million de passagers par jour. Les nouveaux trains devaient initialement arriver cette année.

Cette échéance a été repoussée d’au moins trois ans. Une étude d’experts commandée par les opérateurs parisiens et citée par l’IDFM a averti qu’en raison d’un « risque de défaillance industrielle », les premiers trains MI20 pourraient ne pas entrer en service avant septembre 2029. Elle a ajouté que le calendrier de livraison proposé pour la flotte phare n’était « ni solide ni crédible ».

Lors d’une séance tendue du conseil d’administration fin septembre, la présidente de l’IDFM, Valérie Pécresse, a rappelé à Alstom que l’autorité régionale était son « plus gros client » et a exigé des mesures concrètes pour reprendre le projet en main, notamment une stratégie industrielle et un calendrier révisés d’ici la fin de l’année. Sa principale exigence : que les premiers trains MI20 entrent en service en 2028, et non en 2029.

Plusieurs semaines après cette réprimande publique, Alstom indique à RailTech qu’il s’efforce de répondre aux attentes de son client, en déclarant que cinq trains d’essai « seraient mis à disposition l’année prochaine » – une étape cruciale qui permettrait enfin de commencer les essais dynamiques, la certification de la sécurité et la validation de la flotte. Sans ces trains, le reste du calendrier de livraison n’est guère plus qu’une projection sur le papier. Le MI20 étant depuis longtemps qualifié de « dossier maudit » par les initiés, il n’est guère surprenant qu’Alstom tienne à souligner que les retards ne sont pas de son seul fait, mais qu’il s’agit d’un défi partagé avec CAF, né d’un partenariat qu’il a un jour tenté d’échapper.

Alstom affirme que le projet avance

Un porte-parole d’Alstom a confirmé à RailTech que le constructeur travaillait désormais « en collaboration avec le groupe RATP-SNCF sur un plan d’action comportant diverses mesures pour… minimiser les risques », ajoutant que le programme IDFM serait mis en œuvre « sur la base d’un calendrier partagé, réaliste et répondant aux ambitions d’Île-de-France Mobilités ». Le porte-parole a ensuite souligné que ce programme, qui reste à confirmer, garantirait « la mise en service commerciale du nouveau train MI20 avant la fin de l’année 2028. »

Alstom a également tenu à souligner les étapes déjà franchies dans le cadre du projet et, ce qui est peut-être plus révélateur encore, l’importance de son partenaire CAF dans l’obtention de la commande : « Le consortium Alstom/CAF a achevé la phase de démarrage : le projet avance et les équipes Alstom et CAF sont pleinement mobilisées. La production de 10 trains a maintenant commencé, avec cinq trains d’essai pour le consortium, trois trains d’essai pour le client et les deux premiers trains commerciaux ».

Le premier, selon le porte-parole, sera assemblé au deuxième trimestre 2026 – « à condition que les véhicules finaux fournis par CAF soient livrés à temps ».

Un partenariat en difficulté

C’est peut-être là que le bât blesse pour Alstom depuis que la régie des transports parisiens a publiquement attaqué le fabricant le mois dernier. L’IDFM mentionne le consortium Alstom-CAF dans sa déclaration de septembre, mais elle rejette toujours la responsabilité des retards sur Alstom, semblant ignorer le rôle de CAF.

C’est pourquoi Alstom peut se sentir lésée : l’entreprise française a beau être à la tête du consortium, une grande partie de son travail dépend encore des livraisons de son partenaire espagnol. L’accord prévoit qu’Alstom construise les voitures intermédiaires et dirige l’intégration globale du système, y compris l’assemblage, l’équipement de traction et les essais. Toutefois, avant d’atteindre ce stade, Alstom a besoin des voitures motorisées, dont CAF est responsable – en d’autres termes, pas de voitures de CAF, pas de livraisons.

La conception est là, mais pas les livraisons. Île-de-France Mobilités

Depuis le début, le couple industriel n’est pas facile à vivre. Lors de l’attribution de l’appel d’offres du RER B en 2020, Alstom venait de racheter Bombardier et héritait de son consortium pour le projet parisien – ainsi que d’un nouveau partenariat avec CAF. Confronté à un contrat lourd et à un rival comme partenaire, Alstom a tenté de se retirer à la dernière minute, avertissant que la conception et la configuration des fournisseurs l’exposaient à des risques excessifs. À l’époque, le PDG sortant Henri Poupart-Lafarge avait publiquement qualifié la participation de CAF de « préoccupation majeure » pour des raisons techniques, citant des collaborations antérieures difficiles.

Malgré ces objections, le groupe RATP-SNCF Voyageurs, agissant au nom d’IDFM, a tout de même confirmé l’attribution du marché, forçant ainsi Alstom à poursuivre avec CAF comme partenaire sur un projet qui était toujours voué à la difficulté.

Un projet complexe

Le RER B ne ressemble à aucune autre ligne du réseau parisien. Exploité conjointement par la RATP et la SNCF, il passe de l’infrastructure d’ un opérateur à l’autre à mi-parcours, ce qui signifie que les nouveaux trains doivent être compatibles avec deux systèmes d’électrification distincts (1,5 kV CC et 25 kV CA), deux environnements de signalisation et deux ensembles de règles d’exploitation. En soi, cela fait du RER B l’une des lignes de banlieue les plus contraintes techniquement en Europe.

A cela s’ajoute l’héritage de l’infrastructure de l’ancienne ligne de Sceaux, dont les dégagements limités des tunnels et des quais exigeaient un train plus étroit et plus bas que le matériel standard du RER. Ces limites géométriques ont exclu la conception toute faite du RER NG et ont contraint les partenaires à développer une rame sur mesure, en partant d’une feuille blanche.

La flotte MI20 associe les voitures motrices de CAF et les remorques intermédiaires d’Alstom, chacune étant équipée de systèmes de traction, de contrôle et de freinage distincts qui doivent fonctionner ensemble de manière transparente ; chaque interface doit être validée séparément par les autorités de sécurité françaises et européennes. Même des modifications mineures de la conception déclenchent de nouveaux cycles de certification – et avec deux constructeurs, deux régulateurs et deux gestionnaires d’infrastructure, la marge de retard est de plus en plus faible.

Les deux constructeurs sous surveillance

Compte tenu des problèmes plus généraux rencontrés dans le secteur du matériel roulant en Europe, il n’est pas surprenant que le projet MI20 ait pris autant de retard. Pour CAF, les défaillances techniques lors des essais, la longueur des procédures de certification et les goulets d’étranglement au niveau de la production ont retardé plusieurs projets clés, notamment sa flotte de trains interurbains Oxygène pour la SNCF en France. Au Royaume-Uni, les contraintes de la chaîne d’approvisionnement et les problèmes d’intégration ont retardé les trains du Docklands Light Railway et de Transport for Wales, tandis qu’en Suède, les pénuries de composants et les retards d’homologation ont ralenti la livraison des unités nordiques de Civity.

Alstom, pour sa part, doit également faire face à une pression croissante en raison d’un nombre croissant de projets en retard. En France, le programme RER NG, les trains à grande vitesse TGV M et de nombreuses commandes de flottes régionales en Allemagne, en Espagne et au Canada ont tous pris du retard. Le PDG Henri Poupart-Lafarge a admis cette année que « nous avions un problème d’inventaire, avec trop de trains non livrés en stock et des arriérés de paiement clients trop importants ». Ce problème est particulièrement aigu depuis l’acquisition de Bombardier par Alstom, qui semble avoir du mal à gérer son portefeuille considérablement élargi.

Responsabilité partagée

En fin de compte, les retards du MI20 sont peut-être moins dus aux faux pas d’une seule entreprise qu’à la complexité même d’un projet que peu de constructeurs envieraient. Alstom et CAF travaillent au sein de l’un des réseaux les plus restrictifs d’Europe sur le plan technique et font l’objet d’une surveillance politique et publique intense ; les fabricants sont à bout de souffle, les chaînes d’approvisionnement sont fragiles et le matériel roulant, de plus en plus personnalisé, laisse peu de marge d’erreur.

Même si Alstom n’est pas entièrement responsable des retards, le constructeur français peut manifestement encore s’améliorer. Comme l’indique le rapport d’expertise sur le projet, les informations sur « le calendrier et les retards réels n’ont pas été communiquées de manière suffisamment fluide par Alstom dans son rôle de maître d’œuvre ». Ce n’est pas un problème industriel qui échappe à l’entreprise.

Néanmoins, si tout se déroule comme Alstom l’a suggéré, les nouveaux trains du RER B devraient finalement entrer en service en décembre 2028, soit un an plus tard que la dernière prévision officielle, mais neuf mois plus tôt que le calendrier établi dans le rapport d’expertise d’IDFM. Ce ne serait toutefois pas la première fois que les promesses sont plus rapides que les progrès. Comme l’a dit un responsable d’Île-de-France Mobilités, « nous voulons des engagements fermes de la part d’Alstom » : « Nous voulons des engagements fermes de la part d’Alstom, pas seulement des paroles ». Il semble que la responsabilité incombe toujours à Alstom. Et si le constructeur français a raison de partager la responsabilité avec la CAF, aux yeux de Paris, il semble que ce soit toujours l’entreprise locale qui soit censée remettre le projet sur les rails.

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Auteur: Thomas Wintle

Source: RailTech.com

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