La Russie rêve d’un train à grande vitesse sans conducteur, tandis que ses liens technologiques se relâchent sous l’effet de l’isolement

Alors que la Russie s’apprête à lancer sa première ligne ferroviaire à grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg, prévue pour 2028, les responsables des transports présentent le projet comme un saut technologique majeur. Pourtant, derrière ce discours bien ficelé se cachent des questions géopolitiques et économiques plus profondes.
Le ministre russe des transports, Roman Starovoit, a récemment déclaré que l’approche russe en matière de construction de trains à grande vitesse suscitait « un intérêt croissant de la part de pays amis », en particulier dans les pays eurasiens de la Communauté des États indépendants (CEI). Cette communauté comprend des pays tels que le Belarus, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, dont l’Ukraine est un ancien membre.
La ligne Moscou-Saint-Pétersbourg est présentée comme un projet d’infrastructure phare, coïncidant avec le prochain Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF).
Le projet comprend des caractéristiques ambitieuses telles que des intervalles de 15 minutes entre les trains, une vitesse d’exploitation de 360 km/h et même la possibilité d’une exploitation sans conducteur à l’avenir. Les trains, baptisés White Krechet (du nom d’un faucon), sont construits dans le pays par Ural Locomotives, qui fait partie du groupe Sinara.
Des projets ambitieux dans un contexte d’isolement croissant
Ces déclarations interviennent dans un contexte d’aggravation possible des sanctions occidentales et de dépendance croissante de la Russie à l’égard d’un cercle plus restreint d’alliés politiques. Depuis son invasion de l’Ukraine, la Russie est largement coupée de ses partenaires technologiques et des marchés occidentaux – par exemple, Siemens s’est retiré de Russieet de sa part de la coentreprise Ural Locomotives avec le groupe Sinara, avec laquelle elle produisait les trains électriques Lastochka.
On peut donc se demander si ce projet ambitieux peut être réalisé comme annoncé, surtout si l’on prévoit d’en achever la construction d’ici à 2028.
L’affirmation selon laquelle les pays amis de la CEI sont « très intéressés » par le projet russe de train à grande vitesse doit également être considérée avec prudence. Alors que la Russie cherche à présenter cet intérêt comme une marque de succès, l’intérêt supposé des pays de la CEI peut refléter une forme d’alignement politique plus qu’une adoption pratique. Nombre de ces pays ont des budgets limités, des infrastructures ferroviaires sous-développées ou des partenariats établis avec la Chine et l’Europe en matière de développement des transports. On n’a guère connaissance d’engagements sérieux en faveur de l’adoption de la technologie russe des trains à grande vitesse.
En outre, toute collaboration potentielle dans le domaine du transport ferroviaire à grande vitesse devrait surmonter des obstacles majeurs, notamment en ce qui concerne les normes d’interopérabilité, le financement et la mise en œuvre. Il s’agit notamment des normes d’interopérabilité, du financement et des lacunes technologiques, d’autant plus que la Russie n’a qu’une expérience limitée de l’exploitation de tels systèmes au niveau national.
Une technologie sous pression
La Russie n’a jamais construit une ligne à grande vitesse en partant de zéro. Bien que le pays exploite des trains Siemens Velaro modifiés (commercialisés dans le pays sous le nom de Sapsan) sur des voies modernisées entre Moscou et Saint-Pétersbourg, ces trains ne sont pas comparables à des corridors TGV construits à cet effet comme ceux de la France, de la Chine ou du Japon.
Les projets de lignes à grande vitesse « White Krechet » marquent une tentative de s’éloigner de la technologie étrangère. Cependant, son développement comporte des risques. La certification nationale, la production de composants et l’intégration de systèmes doivent répondre à des critères de sécurité et de performance exigeants, sans bénéficier de partenaires étrangers ou d’un accès aux chaînes d’approvisionnement mondiales.
De plus, la suggestion de Starovoit selon laquelle l’exploitation des trains sans conducteur sera « introduite par étapes » laisse des questions ouvertes sur la façon dont une telle automatisation serait gérée, en particulier dans un environnement à grande vitesse où les marges de sécurité sont très minces. Les chemins de fer russes ont toutefois l’expérience des tests d’exploitation automatique des trains, mais pour les trains à grande vitesse, c’est une autre histoire.
Le prestige national, pas nécessairement le leadership mondial
Le projet de train à grande vitesse est un exemple clair de la manière dont le gouvernement russe tente de maintenir une image de progrès et de modernisation malgré l’isolement économique et diplomatique. En présentant la ligne à grande vitesse comme un « événement marquant », le Kremlin cherche à présenter une vision d’autosuffisance technologique et de pertinence géopolitique.
Le premier projet russe de train à grande vitesse est indéniablement ambitieux. Mais de sérieuses questions subsistent quant à sa capacité à tenir ses promesses, en particulier dans le contexte des contraintes économiques et politiques actuelles. L’accent mis sur la production nationale, l’alignement géopolitique avec les États de la CEI et les caractéristiques spéculatives telles que les trains sans conducteur ajoutent de la complexité à ce qui est déjà une entreprise techniquement exigeante.
Le véritable test n’aura pas lieu lors des conférences de haut niveau, mais au cours des années de réalisation des projets, de certification de la sécurité et de fiabilité des services qui devraient suivre.
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